Shiiba laissa gambader ses pensées en descendant
la rue de Yasukuni. Il était encore très tôt pour un rendez-vous. Mais dans ce
travail, outre s’assurer que tout fonctionnait selon le plan établi, on devait
également éviter de se mettre dans une situation compromettante. Et pour lui,
le retard était synonyme de désavantage, surtout lorsque son rendez-vous
s’appelait Andou. Il devait prendre toutes les mesures nécessaires afin de
maintenir sa confiance. Par exemple, toujours se présenter à l’adresse de la
rencontre avant lui pour qu’il n’attende pas.
Ce fut avec l’esprit farci de toutes ces idées
que Shiiba arriva au pied de la rue. En l’apercevant, ceux qui la remontaient
s’écartèrent sur le côté. On ne pouvait dire si leur conduite était volontaire
ou non. Cependant, elle donnait un bon aperçu de la manière dont il croisait
les autres passants. Certes, il ne les effrayait pas au point qu’ils lui cèdent
complètement tout le trottoir après un simple coup d’œil de sa part. Ceci dit,
puisqu’ils ne se connaissaient ni d’Ève ni d’Adam, ils n’allaient pas non plus permettre
qu’il les dépasse en les touchant.
¾
Ah, M. Shibano,
l’appela une voix familière dès qu’il entra dans la rue de Sakura où
s’amoncelaient des bordels contentant toutes les mœurs dissolues.
L’homme qui l’avait alpagué répondait au
nom de Moriguchi et travaillait dans une boutique d’Andou.
¾
Nous avons
une nouvelle fille, lui lança-t-il. Une véritable bombe, pour ne rien vous
cacher !
¾
Hé, le
salua Shiiba, un sourire aux lèvres. Dans ce cas, je veux bien tester !
¾
Vous
dites toujours ça, M. Shibano, mais vous ne passez jamais, lui répliqua
Moriguchi. Eh bien, je suppose qu’un beau gosse comme vous n’a pas besoin de débourser
du fric pour s’offrir une fille, rajouta-t-il en haussant les épaules d’un air
déçu.
¾
La
prochaine fois, répliqua Shiiba, les traits détendus. Mes amitiés au patron.
¾
Entendu.
Je n’y manquerai pas, acquiesça Moriguchi et Shiiba le rassura avant de
poursuivre sa route :
¾
Continue les
affaires sans crainte, je veille.
À Kabuki-cho, Shiiba était comme chez lui.
Andou y gérant plusieurs bains publics, il avait réussi à étoffer sa liste de
contacts : une bonne chose en somme puisqu’on n’avait jamais assez de
relations quand il s’agissait de collecter des informations.
Une fois à quelques mètres de sa
destination, Shiiba s’arrêta tout d’un coup, attiré par des éclats de voix. Son
visage regarda dans la sombre allée d’où elles provenaient et il reconnut le
jeune garçon bien habillé hurlant sur le grand monsieur qui le retenait par le
col. Lui aussi travaillait pour Andou. Il se nommait Toshiaki Akai et
visiblement, il était de mauvaise humeur avec ses cheveux en épis sur sa tête.
¾
Je t’ai
dit de me lâcher, criait-il. Ordure ! Qu’est-ce que j’ai fait à part donner un
coup un petit de pied à l’enseigne ?
¾
Un petit,
dis-tu ? s’enquit le monsieur. Au contraire, c’était un gros. Viens avec moi au
poste de police, nous en reparlerons là-bas.
¾
Allez, M.
le Détective, soyez sympa. Laissez-moi partir, gémit Toshiaki. Je n’ai rien —,
Il interrompit sa phrase quand il remarqua
Shiiba et l’interpella :
¾
Hé, M. Shibano !
Shiiba proféra un juron puis les rejoignit
en faisant attention à ne pas être reconnu. Mais l’homme le dévisagea puis
fronça les sourcils.
¾
Shibano...?
Shiiba s’empressa de l’ignorer pour se
tourner vers Toshiaki.
¾
Que se
passe-t-il ? lui demanda-t-il. Qu’as-tu fait ?
¾
Rien du
tout, répondit le jeune garçon. Le propriétaire de cette boutique d’alcool m’a filé
de la merde. Alors en sortant, j’ai donné un petit coup de pied à son enseigne
et ce… Ce détective m’accuse de détruire une propriété privée !
Son visage pâlit et Shiiba en déduit que
son imposant sac contenait soit de la drogue, soit de la contrefaçon. Dans tous
les cas, il s’agissait d’une chose illicite qui lui causerait d’énormes ennuis
si l’homme venait à le fouiller. Considérant ce dernier, il pencha délibérément
la tête sur le côté d’un air surpris.
¾
Tiens
donc, M. Oosako ! s’exclama-t-il. Ça fait un bout de temps. Quelle
coïncidence !
Toshiaki écarquilla les yeux de stupeur.
¾
Hein, quoi ? Vous connaissez ce détective, M. Shibano ?
¾
En effet,
cela fait longtemps, répliqua le détective avec prudence. Tu m’as l’air en
pleine forme.
¾
Oosako,
c’est un ami à moi. Je sais qu’il peut se conduire en idiot parfois, mais au
fond, ce n’est pas un mauvais bougre. Peux-tu le laisser partir ? lui demanda
Shiiba qui inclina la tête.
L’homme, à contrecœur, acquiesça.
¾
Très
bien, dit-il du bout des lèvres. Je te laisse partir pour cette fois, d’accord,
sale gosse ? Mais ne t’avise plus de le refaire. Sinon, la prochaine fois, je
t’arrêterai, peu importe l’intervenant.
Toshiaki, sans être vraiment convaincu,
opina de la tête.
¾
Toshiaki,
va au bureau et dis-leur que je serai en retard, lui ordonna Shiiba.
¾
Merci.
Après avoir murmuré cela, le jeune garçon s’empressa de s’en aller. Une minute plus tard, lorsqu’il jeta un regard derrière lui, il vit Shiiba s’incliner encore une fois devant le détective.
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