Une sonorité électronique plutôt stridente interrompit son profond sommeil. Mécontent d’avoir été réveillé par le bruit, Masaki Shiba laissa entendre un sourd grognement. Bien que désireux de réduire au silence le malheureux appareil, il s’en garda et descendit du lit à contrecœur pour s’emparer du combiné.
-
Allô, marmonna-t-il de sa voix rauque trahissant
sa frustration.
Mais
à l’autre bout du fil, personne ne lui répondit. Supposant qu’il s’agissait
d’une farce, il s’apprêtait à raccrocher quand, enfin, une voix basse masculine
qu’il ne reconnaissait pas s’exprima. Très vite, il sollicita ses méninges à la
recherche de son propriétaire : sans succès. À demi éveillé, il peinait à
réfléchir.
-
… Qui ? se contenta-t-il alors de demander, le
pouce frottant une paupière et l’index la seconde.
Non
seulement il avait une migraine ophtalmique épouvantable, mais il ressentait également
un certain malaise, comme si un corps étranger violait son esprit.
-
Même si je vous disais mon nom, vous ne saurez
pas qui je suis. Mais, moi, je vous connais, lui répondit la voix.
Ses
mots étranges l’alarmèrent aussitôt et il cessa de masser ses paupières.
-
Comment avez-vous obtenu mon numéro ?
s’enquit-il sur ses gardes après avoir observé une courte pause.
-
Faites attention à Andou, lui répliqua la voix
en ignorant sa question.
-
Quoi… ? bafouilla-t-il. Que voulez-vous dire… ?
Hé !
Mais
déjà, la ligne était coupée.
Agacé
d’avoir été réveillé de si bonne heure, Shiba reposa brutalement le combiné téléphonique.
Puis, les dents serrées, il tira les rideaux pour qu’entrent les ternes lueurs
matinales qui caractérisaient les jours très courts de l’hiver. Son regard
encore endormi s’attarda brièvement sur la rue avant qu’il se rende dans la
salle de bain. L’eau chaude qu’il fit couler sur lui chassa définitivement tout
sommeil de ses yeux. Tout en se savonnant, il se demanda si l’avertissement ne
venait pas d’un supérieur. Non, conclut-il, balayant l’idée d’un signe de
dénégation. Il avait reçu très peu d’informations pour que cela soit probable.
Qui diable était-ce, dans ce cas ? Non seulement il connaissait Andou, mais il
savait aussi qu’un lien les unissait. Cette connaissance en elle-même ne le
gênait pas vu que beaucoup étaient au fait de leur amitié. Mais en dehors
d’Andou, il n’avait donné son numéro de téléphone à aucune de ces personnes.
Sa
douche terminée, il ceintura sa taille d’une serviette puis mena ses pas à la
cuisine. Là, il sortit du réfrigérateur une bouteille d’eau minérale pleine
qu’il but au goulot. Ses prunelles rivées sur l’intérieur vide du frigo, il
ressassa les paroles de l’homme.
Faites
attention à Andou.
Quel
sens donner à cette phrase ? s’interrogea-t-il. Voilà trois ans qu’Andou et lui
se connaissaient. Ensemble, ils avaient construit une relation plus que solide.
Il était de loin son contact le plus important sur le plan professionnel.
C’était un homme à qui il n’avait pas d’autre choix que d’accorder sa
confiance. Qu’il se méfie de lui était donc impensable. Vraiment, il ne
comprenait pas du tout ce que sous-entendait l’auteur de l’appel.
Un
soupir en disant long sur son trouble vola de ses lèvres.
Andou
était son S. Il ne pouvait douter de lui, car le faire reviendrait à perdre sa
position. Avec son S, l’on partageait un même destin. On nageait ensemble ou on
coulait ensemble.
Reposant
la bouteille à moitié vide à l’endroit où il l’avait prise, il alla se tenir
devant sa penderie. Il retira une chemise blanche classique de son cintre et
l’enfila. Ouverte au col, la chemise dévoila la chaîne en or qui brillait sur
sa poitrine. Il revêtit par-dessus une veste noire de prix qui mit en exergue
son corps svelte et peigna en arrière les mèches tombées sur son visage.
Maintenant qu’il était parfaitement réveillé, l’image de lui qu’il aperçut dans
le miroir lui arracha une vilaine moue de dégoût. Il ressemblait à un punk
ainsi vêtu, mais ce n’était pas plus mal, songea-t-il. Dès qu’il quittera cette
chambre, il ne sera plus Masaki Shiiba, le détective, mais plutôt, Akira
Shibano, un simple civil. Après avoir répété ce nom une dernière fois, il
referma la porte du placard sur son véritable moi.
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