S: chapitre 1

 Une sonorité électronique plutôt stridente interrompit son profond sommeil. Mécontent d’avoir été réveillé par le bruit, Masaki Shiba laissa entendre un sourd grognement. Bien que désireux de réduire au silence le malheureux appareil, il s’en garda et descendit du lit à contrecœur pour s’emparer du combiné.

-       Allô, marmonna-t-il de sa voix rauque trahissant sa frustration.

Mais à l’autre bout du fil, personne ne lui répondit. Supposant qu’il s’agissait d’une farce, il s’apprêtait à raccrocher quand, enfin, une voix basse masculine qu’il ne reconnaissait pas s’exprima. Très vite, il sollicita ses méninges à la recherche de son propriétaire : sans succès. À demi éveillé, il peinait à réfléchir.

-       … Qui ? se contenta-t-il alors de demander, le pouce frottant une paupière et l’index la seconde.

Non seulement il avait une migraine ophtalmique épouvantable, mais il ressentait également un certain malaise, comme si un corps étranger violait son esprit.

-       Même si je vous disais mon nom, vous ne saurez pas qui je suis. Mais, moi, je vous connais, lui répondit la voix.

Ses mots étranges l’alarmèrent aussitôt et il cessa de masser ses paupières.

-       Comment avez-vous obtenu mon numéro ? s’enquit-il sur ses gardes après avoir observé une courte pause.

-       Faites attention à Andou, lui répliqua la voix en ignorant sa question.

-       Quoi… ? bafouilla-t-il. Que voulez-vous dire… ? Hé !

Mais déjà, la ligne était coupée.

Agacé d’avoir été réveillé de si bonne heure, Shiba reposa brutalement le combiné téléphonique. Puis, les dents serrées, il tira les rideaux pour qu’entrent les ternes lueurs matinales qui caractérisaient les jours très courts de l’hiver. Son regard encore endormi s’attarda brièvement sur la rue avant qu’il se rende dans la salle de bain. L’eau chaude qu’il fit couler sur lui chassa définitivement tout sommeil de ses yeux. Tout en se savonnant, il se demanda si l’avertissement ne venait pas d’un supérieur. Non, conclut-il, balayant l’idée d’un signe de dénégation. Il avait reçu très peu d’informations pour que cela soit probable. Qui diable était-ce, dans ce cas ? Non seulement il connaissait Andou, mais il savait aussi qu’un lien les unissait. Cette connaissance en elle-même ne le gênait pas vu que beaucoup étaient au fait de leur amitié. Mais en dehors d’Andou, il n’avait donné son numéro de téléphone à aucune de ces personnes.

Sa douche terminée, il ceintura sa taille d’une serviette puis mena ses pas à la cuisine. Là, il sortit du réfrigérateur une bouteille d’eau minérale pleine qu’il but au goulot. Ses prunelles rivées sur l’intérieur vide du frigo, il ressassa les paroles de l’homme.

Faites attention à Andou.

Quel sens donner à cette phrase ? s’interrogea-t-il. Voilà trois ans qu’Andou et lui se connaissaient. Ensemble, ils avaient construit une relation plus que solide. Il était de loin son contact le plus important sur le plan professionnel. C’était un homme à qui il n’avait pas d’autre choix que d’accorder sa confiance. Qu’il se méfie de lui était donc impensable. Vraiment, il ne comprenait pas du tout ce que sous-entendait l’auteur de l’appel.

Un soupir en disant long sur son trouble vola de ses lèvres.

Andou était son S. Il ne pouvait douter de lui, car le faire reviendrait à perdre sa position. Avec son S, l’on partageait un même destin. On nageait ensemble ou on coulait ensemble.

Reposant la bouteille à moitié vide à l’endroit où il l’avait prise, il alla se tenir devant sa penderie. Il retira une chemise blanche classique de son cintre et l’enfila. Ouverte au col, la chemise dévoila la chaîne en or qui brillait sur sa poitrine. Il revêtit par-dessus une veste noire de prix qui mit en exergue son corps svelte et peigna en arrière les mèches tombées sur son visage. Maintenant qu’il était parfaitement réveillé, l’image de lui qu’il aperçut dans le miroir lui arracha une vilaine moue de dégoût. Il ressemblait à un punk ainsi vêtu, mais ce n’était pas plus mal, songea-t-il. Dès qu’il quittera cette chambre, il ne sera plus Masaki Shiiba, le détective, mais plutôt, Akira Shibano, un simple civil. Après avoir répété ce nom une dernière fois, il referma la porte du placard sur son véritable moi.


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